LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 29 mars 2017 par le Conseil d'État (décision n° 379685 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Edenred France par la SCP Delaporte et Briard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-636 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 1734 ter du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999, et du e du paragraphe I de l'article 1763 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999 ;
- l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités, ratifiée par l'article 138 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par Me François-Henri Briard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 20 avril et 3 mai 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 20 avril 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société CAFPI par Mes Raphaël Goupille et Michel Guichard, avocats au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées le 7 avril 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Briard, pour la société requérante, Me Guichard, pour la société intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 30 mai 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 1734 ter du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 1999 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Lorsque les contribuables ne peuvent présenter le registre mentionné à l'article 54 septies ou lorsque les renseignements portés sur ce registre sont incomplets ou inexacts, il est prononcé une amende égale à 5 % du montant des résultats omis sur le registre.
«De même, si l'état prévu au I de l'article 54 septies ou au II de l'article 151 octies n'est pas produit au titre de l'exercice au cours duquel est réalisée l'opération visée par ces dispositions ou au titre des exercices ultérieurs, ou si les renseignements qui sont portés sur ces états sont inexacts ou incomplets, il est prononcé une amende égale à 5 % des résultats omis.
« Si l'état prévu au III de l'article 54 septies n'est pas produit au titre d'un exercice ou si les renseignements qui y sont portés sont inexacts ou incomplets, il est prononcé une amende égale à 5 % des résultats de la société scindée non imposés en application des dispositions prévues aux articles 210 A et 210 B.
« Le contentieux est assuré et l'amende est mise en recouvrement suivant les règles applicables à l'impôt sur les sociétés ».
2. Le paragraphe I de l'article 1763 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 7 décembre 2005 mentionnée ci-dessus, prévoit que le défaut de production ou le caractère inexact ou incomplet de plusieurs documents entraîne l'application d'une amende égale à 5 % des sommes omises. Le e de ce paragraphe dispose qu'il en est ainsi pour les documents suivants :« État prévu au IV de l'article 41, au I de l'article 54 septies, au II de l'article 151 octies ou au 2 du II de l'article 151 nonies au titre de l'exercice au cours duquel est réalisée l'opération visée par ces dispositions ou au titre des exercices ultérieurs ».
3. Selon la société requérante et la partie intervenante, ces dispositions méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines, en ce qu'elles prévoient une amende sanctionnant le défaut de production ou le caractère inexact ou incomplet de l'état de suivi des plus-values en sursis ou report d'imposition. Le montant de cette amende serait excessif, dès lors que son taux de 5 % s'appliquerait au montant des sommes omises, sans tenir compte ni du montant de l'impôt dû, ni de l'éventuelle bonne foi du contribuable. Ces dispositions seraient également contraires au principe d'individualisation des peines, faute de toute possibilité de moduler la sanction en fonction du comportement du contribuable ou de la gravité du manquement. Enfin, la société requérante soutient que ces dispositions seraient contraires au principe d'égalité devant la loi, aux motifs qu'elles pourraient conduire à une amende d'un montant très variable pour une même infraction et qu'elles sanctionneraient indifféremment contribuables de bonne foi et contribuables de mauvaise foi.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « au I de l'article 54 septies, » figurant au deuxième alinéa de l'article 1734 ter du code général des impôts et sur les mêmes mots figurant au e du paragraphe I de l'article 1763 du même code.
5. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. En outre, le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789 implique qu'une amende fiscale ne puisse être appliquée que si l'administration, sous le contrôle du juge, l'a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il ne saurait toutefois interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective de la méconnaissance des obligations fiscales.
6. En vertu du paragraphe I de l'article 54 septies du code général des impôts, les entreprises qui bénéficient d'un des régimes de sursis ou de report d'imposition des plus-values mentionnés à ce paragraphe « doivent joindre à leur déclaration de résultat un état conforme au modèle fourni par l'administration faisant apparaître, pour chaque nature d'élément, les renseignements nécessaires au calcul du résultat imposable de la cession ultérieure des éléments considérés ». Cet état de suivi des plus-values en sursis ou report d'imposition sert ainsi à établir l'impôt dû l'année au cours de laquelle aura lieu l'événement mettant fin au sursis ou au report.
7. Les dispositions contestées punissent d'une amende égale à 5 % des résultats omis le défaut de production de cet état de suivi, ainsi que sa production inexacte ou incomplète. Cette sanction est encourue lorsque ces manquements sont commis pendant l'exercice au cours duquel est réalisée l'opération ayant donné lieu au sursis ou au report d'imposition ou pendant les exercices ultérieurs.
8. En premier lieu, d'une part, l'obligation déclarative dont la méconnaissance est ainsi sanctionnée porte sur des renseignements qui doivent figurer en annexe de la déclaration annuelle de résultat de l'entreprise et qui sont nécessaires au calcul de l'impôt sur la plus-value à l'issue du sursis ou du report d'imposition. Il ressort des travaux préparatoires qu'en instituant cette obligation, le législateur a entendu assortir d'une contrepartie les régimes fiscaux favorables, dérogatoires au droit commun, dont peuvent bénéficier les contribuables réalisant certaines opérations. En réprimant la méconnaissance d'une telle obligation, qui permet directement le suivi de la base taxable et ainsi l'établissement de l'impôt sur la plus-value placée en sursis ou en report, le législateur a poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. D'autre part, en punissant d'une amende égale à 5 % des résultats omis, qui servent de base au calcul de l'impôt exigible ultérieurement, chaque manquement au respect de l'obligation déclarative incombant aux contribuables bénéficiant d'un régime de sursis ou de report d'imposition, le législateur a instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l'infraction. Ainsi, même lorsqu'elle s'applique lors de plusieurs exercices, l'amende n'est pas manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu'a entendu réprimer le législateur, compte tenu des difficultés propres au suivi des obligations fiscales en cause.
9. En second lieu, l'amende contestée s'applique lors de chaque exercice pour lequel l'état de suivi n'est pas produit ou présente un caractère inexact ou incomplet. Pour chaque sanction prononcée, le juge décide, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués, manquement par manquement, et sur la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir l'amende, soit d'en décharger le redevable si le manquement n'est pas établi. Il peut ainsi adapter les pénalités à la gravité des agissements commis par le redevable. Par suite, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d'individualisation des peines.
10. Les griefs tirés de la méconnaissance des exigences de l'article 8 de la Déclaration de 1789 doivent donc être écartés. Il en va de même du grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, dès lors que les dispositions contestées n'instituent aucune différence de traitement.
11. Par conséquent, les mots « au I de l'article 54 septies, » figurant au deuxième alinéa de l'article 1734 ter du code général des impôts et les mêmes mots figurant au e du paragraphe I de l'article 1763 du même code, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « au I de l'article 54 septies, » figurant au deuxième alinéa de l'article 1734 ter du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999, et les mêmes mots figurant au e du paragraphe I de l'article 1763 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 juin 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 9 juin 2017.